Les vendeurs du Temple
Rendons-nous maintenant sur l'esplanade conduisant au Temple (...) Voilà qu'il (Jésus) tient à la main un fouet et il chasse, à coups de cordes, les vendeurs du parvis du Temple. Il fait fuir le bétail, s'envoler les colombes ; il fait voler la monnaie des tables des échangeurs !
Jésus a pris son temps. Il est en colère, mais il l'est depuis longtemps et il n'agit pas sur un coup de tête (...) Il savait parfaitement ce qu'il faisait. Il créait l'événement et il savait pourquoi il le faisait, en ce moment précis de sa vie publique. Le temps était venu de poser un acte montrant de façon irréfutable où était le vrai malheur du peuple d'Israël. " Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic." Vous avez fait de l'adoration de Dieu un commerce... Mais en quoi ce commerce était-il intolérable ? En quoi était-il plus qu'une erreur, un péché impardonnable ? Offrir une brebis à Dieu, avoir à en payer le juste prix au marchand, ce n'était pas répréhensible en soi. Depuis Abraham, consacrer des offrandes à Dieu, n'était-ce pas, au contraire, un geste exprimant et confortant la foi ? Vivre sa foi par des sacrifices, s'imposer des privations pour rendre grâce à Dieu, où était le mal ? Que cela donne lieu à quelque commerce, était-ce vraiment un malheur méritant pareil esclandre ?
La réponse est dans les paroles de l'apôtre Paul aux Corinthiens : "Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens" (1 Co 1,2-3). Scandale, folie, pourquoi ? Parce qu'il s'est fait le plus pauvre d'entre les pauvres, le plus exclu, crucifié comme un brigand ! Le scandale était là, il avait opté pour les plus démunis, bien avant le Golgotha. Chacun des gestes, chacune des paroles de Jésus est refus du sort fait aux pauvres. Et les vendeurs sont un des signes les plus criants d'une communauté où toute l'organisation religieuse et sociale exploite et exclut les plus pauvres du Temple et de la vie de Dieu. C'est aux pauvres que Dieu et l'accès au Temple sont marchandés.
(...)
Les marchands, les changeurs sur l'esplanade, nous le disions, ne sont qu'un signe parmi d'autres de la façon dont Dieu a été comme "rationné" aux pauvres et carrément retranché de la vie des plus démunis. Son accès, son amour sont interdits aux plus humbles. Dieu est refusé aux misérables n'ayant ni origines respectables ni pièce d'argent à faire valoir. Dieu est vendu au plus offrant, refusé aux chômeurs de longue durée, aux lépreux qui jamais ne devaient franchir le seuil du lieu saint.
(...)
Songeons que le commerce sur l'esplanade est entre les mains des familles de prestige, de la classe sacerdotale probablement. C'est donc à elles que Jésus, homme de la foule, s'attaque. Il balaye les lieux : place aux pauvres, enfin !
(...)
Ramasser les miettes des pauvres
L'Eglise offre-t-elle, à travers les âges, la garantie voulue ? Je crois profondément que oui. Elle n'a jamais cessé, en humble servante, de balayer l'esplanade conduisant vers Dieu. Encore que ceux qui la tiennent désencombrée ne soient pas toujours ceux que nous pensons. Ils se trouvent rarement sous le feu des projecteurs et nous ne faisons pas toujours l'effort de les découvrir à l'ombre de l'histoire, à l'ombre des puissants, là où se trouvent les plus pauvres eux-mêmes (...) Que de prêtres et de consacrés aussi pauvres, aussi mal nourris que ceux auxquels ils donnaient leur vie et leur prière ! Comptons-nous les institutions créées, au cours des siècles, pour accueillir les enfants, les malades, les infirmes pauvres ? Avons-nous sous-pesé l'incommensurable peine mise à les réconforter, les enseigner, les conduire vers Dieu ? Avons-nous à l'esprit la multitude des croyants laïcs anonymes, toujours à l'oeuvre pour faire le catéchisme, visiter les prisonniers, tendre la main à l'étranger ?
(...)
La réponse est hélas ! à chaque fois négative. Nous n'avons pas imaginé, ni compté, ni entendu. L'Eglise elle-même ne tient pas correctement ses registres, et c'est tout à son honneur. Elle n'a pas à faire le décompte de ses peines offertes aux pauvres. Mais les fidèles devraient se savoir comptables de sa mémoire.
(...)
n'est-il pas vrai que nous considérons comme des miettes ce qui peut tomber de la table des plus démunis ? Nous imaginons le repas des pauvres tout à fait dérisoire, ou même répugnant. "Que peut-il venir de bon de Nazareth ?" Que peut-il venir de précis des très pauvres, des sans-terre, des chômeurs, des peu instruits, des infirmes qui peuplaient alors la Galilée, qui peuplent toujours les zones de misère de notre temps ?
(...)
En déclarant bienheureux ceux qui ne semblent disposer que de miettes, Jésus nous donne l'exemple. Nous aussi nous devons révéler aux très pauvres qu'ils sont bienheureux, qu'ils n'ont plus de sacrifices à payer, que les mains de la maman fouillant dans les ordures sont les plus belles à se joindre pour la prière. Jésus nous montre que c'est cela, désencombrer le Temple de tout ce qui empêche les pauvres de connaître et d'adorer Dieu.
Extrait de : "Les pauvres, rencontre du vrai Dieu", de Joseph Wresinski
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Ecrit le 10 oct.05, 22:10-
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