Palais du LOTO St Jean de Vedas (Montpellier) le 14-01-2005
Conférence-débat :"Résistances et occupations"
avec Tariq Ramadan et Larry Portis
Agir contre la guerre (ACG), les missions civiles en Palestine (CCIPPP)
et
le Mouvement d’Immigration et des Banlieue (MIB) et le Collectif des
Musulmans de France (CMF).
Palais du LOTO St Jean de Védas (voir plan ci joint) Entrée : 3 euros.Si
vous n’avez pas de voiture, des navettes gratuites sont disponiblesdépart
gare routière de Montpellier : 19 h - 19 h 45 – 20 h 15 pour aller au
Palais du LOTO.
Retour sur Montpellier à partir de 23 h 00.Contact Sylvie: 06 86 72 55
92.
________________________________________________________________________
La réélection de Georges W. Bush et la mort de Yasser Arafat pourraient
nous donner beaucoup de raisons de désespérer en ce début d'année. En
effet la première conséquence de la réélection de Bush a été un
durcissement de la guerre en Irak. Moins d'un an après la fin officielle
de la guerre, l'offensive sur Faloudja a marqué l'entrée de
l'administration US dans une «nouvelle guerre». Il s'agit d'en terminer
avec la résistance pour préparer les pseudo élections démocratiques du
30
janvier. Alors que l'occupation a déjà fait plus de 100 000 victimes
civiles, selon le journal médical britannique The Lancet, Bush et ses
accolytes veulent envoyer plus de troupes en Irak et menacent l'Iran et
la
Syrie. La mort de Yasser Arafat était suppposée relancer le «processus
de
paix». En fait le retrait de la bande de Gaza n'est qu'un moyen pour
Sharon d'accentuer la pression sur les Palestinens. Il veut utiliser la
mort d'Arafat pour décapiter la résistance palestinienne. Par ailleurs
l'occupation de la Tchétchénie est passée sous silence tandis que l'armée
française en Côte d'Ivoire a montré qu'elle n'était pas là dans l'intérêt
des ivoiriens (pas plus qu'elle n'était là pour empêcher le génocide au
Rwanda). Pourtant, la résistance se développe à l'échelle de la planète.
500 000 manifestants ont défilé lors de la convention du parti républicain
à New York en octobre 2004, soit la plus grosse manif antiguerre de
l'histoire des EU. Le mouvement US contre l'occupation est déjà plus
important, moins de 2 ans après le début de la guerre en Irak, qu'au plus
fort de la guerre du Vietnam. La contestation gagne l'armée elle-même:
de
plus en plus de soldats US désertent. En Irak même, le jour où les EU
annonçaient la prise de Faloudja, ils reconnaissaient que la résistance
avait repris la ville de Mossoul. En Palestine, le jour des funérailles
d'Arafat la foule scandait «On est tous des Arafat!», montrant par là que
sa mort décuplait la résistance. Au niveau international, du 15 février
2003 – où 15 millions de personnes avaient manifesté contre la guerre,
au
Forum Social de Londres (octobre 2004) en passant par le forum antiguerre
de Beyrouth (septembre 2004), le mouvement antiguerre a montré qu'il était
vivace. Nous n'avons pu empéché la guerre mais nous avons montré combien
leur guerre était illégitime. La légitimité elle, est du côté de ceux qui
résistent, en Palestine, en Irak, comme en Algérie il y a 50 ans. Le
combat contre l'occupation est loin d'être terminé et c'est un mouvement
de longue haleine que nous construisons. Le 16 février 2003 le New York
Times titrait: «le mouvement antiguerre est la deuxième surperpuissance
du
monde». Nous avons besoin de développer plus largement ce mouvement de
solidarité avec ceux qui résistent aux occupations partout dans le monde.
Faisons de ce mouvement la «première puissance mondiale»! Comme l'a montré
le Vietnam, il est le seul à pouvoir stopper la barbarie de l'occupation.
conféence tarik ramadan contre le rascisme
Règles du forum
Le dialogue interreligieux est une forme organisée de dialogue entre des religions ou spiritualités différentes. Ultérieurement, la religion a considéré l'autre comme n'étant pas la vérité révélée. C'est ainsi que les premiers contacts entre l'islam et le christianisme furent souvent difficiles, et donnèrent lieu à des guerres impitoyables comme les croisades.
Le dialogue interreligieux est une forme organisée de dialogue entre des religions ou spiritualités différentes. Ultérieurement, la religion a considéré l'autre comme n'étant pas la vérité révélée. C'est ainsi que les premiers contacts entre l'islam et le christianisme furent souvent difficiles, et donnèrent lieu à des guerres impitoyables comme les croisades.
conféence tarik ramadan contre le rascisme
Ecrit le 13 janv.05, 04:48Re: conféence tarik ramadan contre le rascisme
Ecrit le 20 mai17, 01:02L’appel au Jihâd
Posted by: Tariq Ramadan
Que n’a-t-on pas entendu à propos de la « guerre sainte », de la mobilisation fanatique des « fous de Dieu »… de ce « nouveau fléau de l’intégrisme rampant ». Le monde de l’Islam, dernièrement habité par la gangrène du jihâd, fait peur et terrorise les intelligences.
Comment donc l’une des notions les plus fondamentales de l’islam en est-elle venue à exprimer une de ses caractéristiques les plus sombres ? Comment un concept fort de la plus intense des spiritualités est-il devenu le symbole le plus négatif de l’expression religieuse ? La lecture des événements de l’histoire récente a sa part de responsabilité certes, mais la distorsion remonte à une date avancée du Moyen-Âge. La compréhension d’un certain nombre de notions islamiques s’est bornée, très tôt, à l’exercice de la pure comparaison : il y a eu les croisades, il y a eu l’expansion musulmane ; il y a eu les saintes croisades, il y a donc eu « les guerres saintes », le fameux jihâd. Et si l’Occident a heureusement dépassé le stade primitif de la guerre religieuse, de la croisade, le spectateur est bien forcé de constater que le monde musulman est bien en retard aujourd’hui puisque partout l’on voit des groupes, des mouvements, des partis et des gouvernements en appeler au jihâd, à la lutte armée, à la violence politique. L’arsenal symbolique paraît moyenâgeux et obscurantiste. L’islam évoluera-t-il ?
La question paraît légitime, son expression révèle pourtant un autre malentendu dont on peut douter qu’il ne soit pas volontairement entretenu aujourd’hui. Il faut revenir à la source de cette notion et chercher à mieux comprendre sa portée spirituelle et dynamique. Le jihâd, c’est l’expression la plus réalisée d’une foi qui cherche à exprimer l’équilibre et l’harmonie : il nous faut dire un mot ici de sa portée individuelle, de sa dimension littéralement « inter-nationale » et, enfin, puisque c’est le sujet qui nous occupe ici, de son actualisation sociale.
A) La paix du cœur
Quel être humain pourrait affirmer, au cœur de son intimité, ne pas connaître la violence : parfois l’agressivité, parfois la haine, parfois l’excitation d’un instinct destructeur, parfois la colère. La maîtrise de soi, la sérénité, le respect de l’autre, la douceur ne sont pas naturels, mais s’acquièrent au prix d’un effort personnel permanent. Tel est le lot des hommes : ils abordent les rivages de leur humanité par un long travail sur soi, pensé et mesuré. Chacun le sait, chaque cœur le sent.
Toutes les littératures sont pleines, depuis toujours, de la traduction de cette tension qui tantôt s’apaise, tantôt agite, tantôt déchire l’intimité des hommes. De la Baghavad Gita à la Thora et aux Évangiles, de Dostoievski à Baudelaire, l’horizon humain reste le même. Le Coran confirme la plus quotidienne des expériences :
« Par une (l’) âme et ce qui l’a équilibrée et lui a inspiré son libertinage ou sa piété. Il sera certes heureux celui qui la purifie, il sera certainement perdu celui qui la corrompt. » Coran 91/7-10
Les deux voies sont explicites et elles s’appréhendent de façon à la fois plus vive et plus morale avec le souvenir de la vie de l’au-delà. La vie est cette épreuve de l’équilibre pour les hommes capables du meilleur comme du pire.
Nous sommes ici à proximité de l’essence de la notion de jihâd qui ne peut se comprendre qu’en regard de la conception de l’homme qui la sous-tend. La tension est naturelle, le conflit de l’intimité est proprement humain et l’homme chemine et se réalise dans et par l’effort qu’il fournit pour donner force et présence à l’inclination de son être la moins violente, la moins colérique, la moins agressive. Il lutte, au quotidien, contre les forces les plus négatives de son être : il sait que son humanité sera au prix de leur maîtrise. Cet effort intime, cette lutte entre les « postulations » de l’intériorité est la traduction – littérale et figurée – la mieux appropriée du mot jihâd.
Il ne s’agit pas ici de réduire le jihâd à la dimension personnelle (jihâd an-nafs), mais très clairement de revenir à l’expression de sa réalité la plus immédiate : le jihâd est à l’humanité de l’homme ce que l’instinct est au comportement de l’animal. Être pour l’homme, c’est être responsable et cette responsabilité est liée au choix qui devrait toujours chercher à exprimer la bonté et le respect de soi et d’autrui. Choisir c’est, dans la réalité des conflits intérieurs, se déterminer pour la paix du cœur.
On connaît le propos du Prophète (PBSL) dans un hadîth dont la chaîne de transmission est reconnue comme faible (da’îf), mais dont on peut tirer un enseignement tant son sens et sa portée sont confirmés par d’autres traditions. Au retour d’une expédition qui avait opposé les musulmans à leurs ennemis, le Prophète (PBSL) aurait caractérisé la guerre comme étant un « petit jihâd » en comparaison du « grand jihâd » qu’est l’effort de purification intérieure, de spiritualisation de l’être devant le Créateur. Plus que la comparaison, ce qu’il faut retenir ici, c’est l’association de la foi à l’expérience de l’effort pour atteindre l’harmonie et la sérénité. La vie est cette épreuve et la force spirituelle est signifiée par le choix du bien, de la bonne action pour soi et pour autrui :
« C’est Lui (Dieu) qui a créé la mort et la vie pour vous éprouver et connaître celui d’entre vous qui agit le mieux […] » Coran 67/2
Réformer l’espace de son intériorité, apaiser son cœur au chevet de la reconnaissance du Créateur et dans la densité d’une action humaine et généreuse, aimer dans la transparence et vivre dans la lumière, tel est le sens de la spiritualité islamique. Elle rejoint l’horizon de toutes les spiritualités qui exigent de l’homme de se doter d’une force d’être plutôt que de subir l’acharnement despotique d’une vie réduite aux seuls instincts. Cette tension vers la maîtrise de soi se traduit en arabe par le mot jihâd… comprendre cette dimension est l’étape obligée d’une discussion plus large sur le sens du conflit armé qu’elle peut recouvrir. Ce qu’il faut retenir, au premier chef, sur le plan individuel comme sur le plan inter-national, c’est que Dieu a voulu la tension et qu’il a fait de sa gestion l’une des conditions d’accès à la foi et à l’humanité.
« Le Prophète (PBSL) demanda un jour : “Qui est donc le plus fort parmi vous ?” – Les compagnons répondirent : “Celui qui terrasse son ennemi.” et le Prophète de répondre : “Non, le plus fort est celui qui maîtrise sa colère.” »[1]
. Rapporté par Bukhâri et Muslim.
L’appel au Jihâd 2/3
B- La réalité des conflits
Nous avons rappelé plus haut que la Révélation présente la diversité comme un choix du Créateur : « […] Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté mais il en est ainsi afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc de bonté […] » Coran 5/48
Ainsi, en même temps qu’elle est le fait d’un choix, la diversité s’avère être une épreuve pour les hommes : la gestion des différences est présentée comme un défi qu’ils doivent relever de la même façon d’ailleurs que chacun doit relever le défi de ses tensions intérieures. La grandeur des hommes sera fonction de leur choix et le Coran oriente ce dernier par l’aspiration à une rivalité dans le bien (on trouve dans un autre verset l’idée que la finalité de la diversité des nations et des tribus trouve son sens dans le fait de chercher à s’entre-connaître). La diversité, la pluralité peuvent être le moyen d’une élévation de l’homme – elles devraient l’être – mais il serait naïf de ne pas tenir compte de la réalité des conflits. Ils existent, et la Révélation nous informe qu’ils sont nécessaires à la préservation de l’harmonie et de la justice parmi les hommes : « […] Si Dieu ne repoussait pas certains hommes par d’autres, la terre serait corrompue. Mais Dieu est celui qui dispense la grâce aux mondes. »Coran 2/251
Ainsi la diversité et les conflits qui en résultent sont inhérents à la création : l’homme relève le défi de son humanité, non pas dans le refus de la pluralité et des divergences mais bien dans leur gestion. C’est sa conscience, nourrie par les principes de justice et d’éthique, qui doit le guider pour défendre les droits de chaque communauté comme de chaque individu. C’est bien ce qu’ajoute ce verset au sens du précédent : « […] Si Dieu ne repoussait point certains hommes par d’autres, les ermitages seraient démolis ainsi que les synagogues, les oratoires et les mosquées où le nom de Dieu est fréquemment invoqué […] » Coran 22/40
On notera avec intérêt que les ermitages, les synagogues et les oratoires sont mentionnés avant les mosquées et qu’il s’agit très clairement de l’expression de leur inviolabilité en même temps que du respect dû aux adeptes des différentes religions. La formulation est on ne peut plus explicite : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur terre croiraient. Est-ce à toi de contraindre les gens jusqu’à ce qu’ils soient croyants ? » Coran 10/99
La différence des croyances, comme celle des couleurs et des langues, sont des faits avec lesquels il nous faut vivre. Nous l’avons exprimé plus haut, il convient de le rappeler ici avec force, le principe premier de la coexistence dans la diversité est celui du respect et de la justice. Encore une fois le Coran est clair : « Ô vous les porteurs de la foi ! Tenez-vous fermes comme témoins, devant Dieu, en pratiquant la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices. Soyez justes ! La justice est proche de la piété. Craignez Dieu ; Dieu est bien informé de ce que vous faites. » Coran 5/8
Face aux inévitables conflits d’intérêt et aux volontés de puissance, le vrai témoignage de la foi est dans le respect du droit de chacun. Si ce dernier est bafoué et si l’injustice se répand, alors il devient de la responsabilité des hommes de s’opposer à cet état de fait. C’est très exactement dans ces conditions qu’a été révélé le premier verset appelant au devoir du jihâd, à la résistance armée : « Autorisation est donnée aux victimes d’agressions (de se défendre), car elles ont été injustement traitées et Dieu est capable vraiment de les secourir.
(L’autorisation est donnée à) ceux qui ont été expulsés injustement de leurs foyers pour avoir seulement dit : “Notre Seigneur est Dieu.” […] » Coran 22/39-40
Après treize ans de vie à la Mecque et presque autant d’années de persécution violente, après avoir dû s’exiler à Médine, le verset permet aux musulmans de se défendre au nom du respect de leur foi et de la justice. Abû Bakr comprit d’emblée la portée du message et il affirmera qu’avec la révélation de ce verset « nous comprîmes qu’il allait s’agir de lutte armée ». On trouve ici une expression explicite de ce que recouvre le jihâd sur le plan inter-communautaire ou inter-national. Comme nous l’avons relevé sur le plan intime, où il s’agissait de lutter contre toutes les forces d’agressivité et de violence inhérentes aux êtres humains, il convient ici, de la même façon, de s’opposer à tout agresseur, à toute volonté de pouvoir et d’exploitation qui se manifestent naturellement dans toutes les communautés humaines et qui font fi des droits fondamentaux.
Tout, dans le message de l’islam, appelle à la paix et à la coexistence entre les hommes et les nations. En toutes circonstances, il faudra préférer le dialogue au silence et la paix à la guerre. À l’exception d’une seule situation qui fait de la lutte un devoir et de l’opposition un témoignage de fidélité au sens de la foi : le jihâd est l’expression du refus de toute injustice et la nécessaire affirmation de l’équilibre et de l’harmonie dans l’équité. On souhaiterait que ce fût une lutte non-violente, éloignée de l’horreur des armes ; on aimerait que les hommes aient cette maturité d’âme qui permette une gestion moins sanglante des affaires du monde ; mais l’histoire nous prouve que l’être humain est par nature belliqueux et que la guerre n’est rien d’autre qu’une des façons qu’il a de s’exprimer. La résistance à l’expression trop violente de ce penchant, le nécessaire équilibre des forces paraissent être les conditions d’un ordre à visage humain : c’est le seul cas où la violence se voit légitimée… très exactement dans les situations où la violence subie, où la répression imposée, où le déni de droit sont tels que ce serait perdre sa dignité humaine que de s’y soumettre : « Dieu vous commande la justice […] » Coran 16/90
Le verset exprime clairement le sens de l’action des hommes : lutter pour le bien et refuser l’injustice de toute la force de son être. Porter la foi, c’est porter le témoignage de cette dignité dans la résistance : elle est à la communauté ce que la maîtrise de la colère est à l’intimité de chacun.
On peut constater aujourd’hui une effervescence dans le monde musulman et beaucoup condamnent la violence qui accompagne le réveil d’un « islam fanatique, radical et intégriste ». On doit comprendre cette inquiétude et il faut dénoncer la violence politique qui s’exprime par des assassinats de touristes, de prêtres, de femmes et d’enfants, par des bombes aveugles et des carnages sanglants. Ces actions ne sont pas défendables et ne respectent en rien le message coranique. Encore faut-il condamner la violence qui s’exprime en amont, et qui est le fait des pouvoirs dictatoriaux qui très souvent sont soutenus par les grandes puissances. Chaque jour qui passe, des peuples entiers subissent la répression, l’abus de pouvoir, et les viols des droits les plus inhumains. Jusqu’à quand faudra-t-il qu’ils se taisent et qu’ils se voient jugés « dangereux » par l’Occident s’ils osent exprimer leur refus ? Il ne s’agit pas ici de justifier la violence mais bien de comprendre dans quelles circonstances elle prend corps : les déséquilibres Nord-Sud, les exploitations des hommes et des matières premières produisent, conjugués avec les démissions des peuples du Nord, une violence bien plus dévastatrice que celle, si spectaculaire, des groupes armés. Pourrions-nous appeler les hommes, en cette fin de xxe siècle, à se mobiliser pour plus de justice tant sociale que politique et économique parce qu’il nous paraît que c’est là la seule façon de rendre aux hommes les droits qui feront taire les armes ? Cet effort serait la traduction littérale du mot jihâd… il est témoignage d’un cœur qu’illumine la foi et d’une conscience que façonne la responsabilité.
Posted by: Tariq Ramadan
Que n’a-t-on pas entendu à propos de la « guerre sainte », de la mobilisation fanatique des « fous de Dieu »… de ce « nouveau fléau de l’intégrisme rampant ». Le monde de l’Islam, dernièrement habité par la gangrène du jihâd, fait peur et terrorise les intelligences.
Comment donc l’une des notions les plus fondamentales de l’islam en est-elle venue à exprimer une de ses caractéristiques les plus sombres ? Comment un concept fort de la plus intense des spiritualités est-il devenu le symbole le plus négatif de l’expression religieuse ? La lecture des événements de l’histoire récente a sa part de responsabilité certes, mais la distorsion remonte à une date avancée du Moyen-Âge. La compréhension d’un certain nombre de notions islamiques s’est bornée, très tôt, à l’exercice de la pure comparaison : il y a eu les croisades, il y a eu l’expansion musulmane ; il y a eu les saintes croisades, il y a donc eu « les guerres saintes », le fameux jihâd. Et si l’Occident a heureusement dépassé le stade primitif de la guerre religieuse, de la croisade, le spectateur est bien forcé de constater que le monde musulman est bien en retard aujourd’hui puisque partout l’on voit des groupes, des mouvements, des partis et des gouvernements en appeler au jihâd, à la lutte armée, à la violence politique. L’arsenal symbolique paraît moyenâgeux et obscurantiste. L’islam évoluera-t-il ?
La question paraît légitime, son expression révèle pourtant un autre malentendu dont on peut douter qu’il ne soit pas volontairement entretenu aujourd’hui. Il faut revenir à la source de cette notion et chercher à mieux comprendre sa portée spirituelle et dynamique. Le jihâd, c’est l’expression la plus réalisée d’une foi qui cherche à exprimer l’équilibre et l’harmonie : il nous faut dire un mot ici de sa portée individuelle, de sa dimension littéralement « inter-nationale » et, enfin, puisque c’est le sujet qui nous occupe ici, de son actualisation sociale.
A) La paix du cœur
Quel être humain pourrait affirmer, au cœur de son intimité, ne pas connaître la violence : parfois l’agressivité, parfois la haine, parfois l’excitation d’un instinct destructeur, parfois la colère. La maîtrise de soi, la sérénité, le respect de l’autre, la douceur ne sont pas naturels, mais s’acquièrent au prix d’un effort personnel permanent. Tel est le lot des hommes : ils abordent les rivages de leur humanité par un long travail sur soi, pensé et mesuré. Chacun le sait, chaque cœur le sent.
Toutes les littératures sont pleines, depuis toujours, de la traduction de cette tension qui tantôt s’apaise, tantôt agite, tantôt déchire l’intimité des hommes. De la Baghavad Gita à la Thora et aux Évangiles, de Dostoievski à Baudelaire, l’horizon humain reste le même. Le Coran confirme la plus quotidienne des expériences :
« Par une (l’) âme et ce qui l’a équilibrée et lui a inspiré son libertinage ou sa piété. Il sera certes heureux celui qui la purifie, il sera certainement perdu celui qui la corrompt. » Coran 91/7-10
Les deux voies sont explicites et elles s’appréhendent de façon à la fois plus vive et plus morale avec le souvenir de la vie de l’au-delà. La vie est cette épreuve de l’équilibre pour les hommes capables du meilleur comme du pire.
Nous sommes ici à proximité de l’essence de la notion de jihâd qui ne peut se comprendre qu’en regard de la conception de l’homme qui la sous-tend. La tension est naturelle, le conflit de l’intimité est proprement humain et l’homme chemine et se réalise dans et par l’effort qu’il fournit pour donner force et présence à l’inclination de son être la moins violente, la moins colérique, la moins agressive. Il lutte, au quotidien, contre les forces les plus négatives de son être : il sait que son humanité sera au prix de leur maîtrise. Cet effort intime, cette lutte entre les « postulations » de l’intériorité est la traduction – littérale et figurée – la mieux appropriée du mot jihâd.
Il ne s’agit pas ici de réduire le jihâd à la dimension personnelle (jihâd an-nafs), mais très clairement de revenir à l’expression de sa réalité la plus immédiate : le jihâd est à l’humanité de l’homme ce que l’instinct est au comportement de l’animal. Être pour l’homme, c’est être responsable et cette responsabilité est liée au choix qui devrait toujours chercher à exprimer la bonté et le respect de soi et d’autrui. Choisir c’est, dans la réalité des conflits intérieurs, se déterminer pour la paix du cœur.
On connaît le propos du Prophète (PBSL) dans un hadîth dont la chaîne de transmission est reconnue comme faible (da’îf), mais dont on peut tirer un enseignement tant son sens et sa portée sont confirmés par d’autres traditions. Au retour d’une expédition qui avait opposé les musulmans à leurs ennemis, le Prophète (PBSL) aurait caractérisé la guerre comme étant un « petit jihâd » en comparaison du « grand jihâd » qu’est l’effort de purification intérieure, de spiritualisation de l’être devant le Créateur. Plus que la comparaison, ce qu’il faut retenir ici, c’est l’association de la foi à l’expérience de l’effort pour atteindre l’harmonie et la sérénité. La vie est cette épreuve et la force spirituelle est signifiée par le choix du bien, de la bonne action pour soi et pour autrui :
« C’est Lui (Dieu) qui a créé la mort et la vie pour vous éprouver et connaître celui d’entre vous qui agit le mieux […] » Coran 67/2
Réformer l’espace de son intériorité, apaiser son cœur au chevet de la reconnaissance du Créateur et dans la densité d’une action humaine et généreuse, aimer dans la transparence et vivre dans la lumière, tel est le sens de la spiritualité islamique. Elle rejoint l’horizon de toutes les spiritualités qui exigent de l’homme de se doter d’une force d’être plutôt que de subir l’acharnement despotique d’une vie réduite aux seuls instincts. Cette tension vers la maîtrise de soi se traduit en arabe par le mot jihâd… comprendre cette dimension est l’étape obligée d’une discussion plus large sur le sens du conflit armé qu’elle peut recouvrir. Ce qu’il faut retenir, au premier chef, sur le plan individuel comme sur le plan inter-national, c’est que Dieu a voulu la tension et qu’il a fait de sa gestion l’une des conditions d’accès à la foi et à l’humanité.
« Le Prophète (PBSL) demanda un jour : “Qui est donc le plus fort parmi vous ?” – Les compagnons répondirent : “Celui qui terrasse son ennemi.” et le Prophète de répondre : “Non, le plus fort est celui qui maîtrise sa colère.” »[1]
. Rapporté par Bukhâri et Muslim.
L’appel au Jihâd 2/3
B- La réalité des conflits
Nous avons rappelé plus haut que la Révélation présente la diversité comme un choix du Créateur : « […] Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté mais il en est ainsi afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc de bonté […] » Coran 5/48
Ainsi, en même temps qu’elle est le fait d’un choix, la diversité s’avère être une épreuve pour les hommes : la gestion des différences est présentée comme un défi qu’ils doivent relever de la même façon d’ailleurs que chacun doit relever le défi de ses tensions intérieures. La grandeur des hommes sera fonction de leur choix et le Coran oriente ce dernier par l’aspiration à une rivalité dans le bien (on trouve dans un autre verset l’idée que la finalité de la diversité des nations et des tribus trouve son sens dans le fait de chercher à s’entre-connaître). La diversité, la pluralité peuvent être le moyen d’une élévation de l’homme – elles devraient l’être – mais il serait naïf de ne pas tenir compte de la réalité des conflits. Ils existent, et la Révélation nous informe qu’ils sont nécessaires à la préservation de l’harmonie et de la justice parmi les hommes : « […] Si Dieu ne repoussait pas certains hommes par d’autres, la terre serait corrompue. Mais Dieu est celui qui dispense la grâce aux mondes. »Coran 2/251
Ainsi la diversité et les conflits qui en résultent sont inhérents à la création : l’homme relève le défi de son humanité, non pas dans le refus de la pluralité et des divergences mais bien dans leur gestion. C’est sa conscience, nourrie par les principes de justice et d’éthique, qui doit le guider pour défendre les droits de chaque communauté comme de chaque individu. C’est bien ce qu’ajoute ce verset au sens du précédent : « […] Si Dieu ne repoussait point certains hommes par d’autres, les ermitages seraient démolis ainsi que les synagogues, les oratoires et les mosquées où le nom de Dieu est fréquemment invoqué […] » Coran 22/40
On notera avec intérêt que les ermitages, les synagogues et les oratoires sont mentionnés avant les mosquées et qu’il s’agit très clairement de l’expression de leur inviolabilité en même temps que du respect dû aux adeptes des différentes religions. La formulation est on ne peut plus explicite : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur terre croiraient. Est-ce à toi de contraindre les gens jusqu’à ce qu’ils soient croyants ? » Coran 10/99
La différence des croyances, comme celle des couleurs et des langues, sont des faits avec lesquels il nous faut vivre. Nous l’avons exprimé plus haut, il convient de le rappeler ici avec force, le principe premier de la coexistence dans la diversité est celui du respect et de la justice. Encore une fois le Coran est clair : « Ô vous les porteurs de la foi ! Tenez-vous fermes comme témoins, devant Dieu, en pratiquant la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices. Soyez justes ! La justice est proche de la piété. Craignez Dieu ; Dieu est bien informé de ce que vous faites. » Coran 5/8
Face aux inévitables conflits d’intérêt et aux volontés de puissance, le vrai témoignage de la foi est dans le respect du droit de chacun. Si ce dernier est bafoué et si l’injustice se répand, alors il devient de la responsabilité des hommes de s’opposer à cet état de fait. C’est très exactement dans ces conditions qu’a été révélé le premier verset appelant au devoir du jihâd, à la résistance armée : « Autorisation est donnée aux victimes d’agressions (de se défendre), car elles ont été injustement traitées et Dieu est capable vraiment de les secourir.
(L’autorisation est donnée à) ceux qui ont été expulsés injustement de leurs foyers pour avoir seulement dit : “Notre Seigneur est Dieu.” […] » Coran 22/39-40
Après treize ans de vie à la Mecque et presque autant d’années de persécution violente, après avoir dû s’exiler à Médine, le verset permet aux musulmans de se défendre au nom du respect de leur foi et de la justice. Abû Bakr comprit d’emblée la portée du message et il affirmera qu’avec la révélation de ce verset « nous comprîmes qu’il allait s’agir de lutte armée ». On trouve ici une expression explicite de ce que recouvre le jihâd sur le plan inter-communautaire ou inter-national. Comme nous l’avons relevé sur le plan intime, où il s’agissait de lutter contre toutes les forces d’agressivité et de violence inhérentes aux êtres humains, il convient ici, de la même façon, de s’opposer à tout agresseur, à toute volonté de pouvoir et d’exploitation qui se manifestent naturellement dans toutes les communautés humaines et qui font fi des droits fondamentaux.
Tout, dans le message de l’islam, appelle à la paix et à la coexistence entre les hommes et les nations. En toutes circonstances, il faudra préférer le dialogue au silence et la paix à la guerre. À l’exception d’une seule situation qui fait de la lutte un devoir et de l’opposition un témoignage de fidélité au sens de la foi : le jihâd est l’expression du refus de toute injustice et la nécessaire affirmation de l’équilibre et de l’harmonie dans l’équité. On souhaiterait que ce fût une lutte non-violente, éloignée de l’horreur des armes ; on aimerait que les hommes aient cette maturité d’âme qui permette une gestion moins sanglante des affaires du monde ; mais l’histoire nous prouve que l’être humain est par nature belliqueux et que la guerre n’est rien d’autre qu’une des façons qu’il a de s’exprimer. La résistance à l’expression trop violente de ce penchant, le nécessaire équilibre des forces paraissent être les conditions d’un ordre à visage humain : c’est le seul cas où la violence se voit légitimée… très exactement dans les situations où la violence subie, où la répression imposée, où le déni de droit sont tels que ce serait perdre sa dignité humaine que de s’y soumettre : « Dieu vous commande la justice […] » Coran 16/90
Le verset exprime clairement le sens de l’action des hommes : lutter pour le bien et refuser l’injustice de toute la force de son être. Porter la foi, c’est porter le témoignage de cette dignité dans la résistance : elle est à la communauté ce que la maîtrise de la colère est à l’intimité de chacun.
On peut constater aujourd’hui une effervescence dans le monde musulman et beaucoup condamnent la violence qui accompagne le réveil d’un « islam fanatique, radical et intégriste ». On doit comprendre cette inquiétude et il faut dénoncer la violence politique qui s’exprime par des assassinats de touristes, de prêtres, de femmes et d’enfants, par des bombes aveugles et des carnages sanglants. Ces actions ne sont pas défendables et ne respectent en rien le message coranique. Encore faut-il condamner la violence qui s’exprime en amont, et qui est le fait des pouvoirs dictatoriaux qui très souvent sont soutenus par les grandes puissances. Chaque jour qui passe, des peuples entiers subissent la répression, l’abus de pouvoir, et les viols des droits les plus inhumains. Jusqu’à quand faudra-t-il qu’ils se taisent et qu’ils se voient jugés « dangereux » par l’Occident s’ils osent exprimer leur refus ? Il ne s’agit pas ici de justifier la violence mais bien de comprendre dans quelles circonstances elle prend corps : les déséquilibres Nord-Sud, les exploitations des hommes et des matières premières produisent, conjugués avec les démissions des peuples du Nord, une violence bien plus dévastatrice que celle, si spectaculaire, des groupes armés. Pourrions-nous appeler les hommes, en cette fin de xxe siècle, à se mobiliser pour plus de justice tant sociale que politique et économique parce qu’il nous paraît que c’est là la seule façon de rendre aux hommes les droits qui feront taire les armes ? Cet effort serait la traduction littérale du mot jihâd… il est témoignage d’un cœur qu’illumine la foi et d’une conscience que façonne la responsabilité.
Le premier forum tunisien qui a inspiré les forums de religion Recherche "les religions font peu de bien et beaucoup de mal" Voltaire
-
- Sujets similaires
- Réponses
- Vues
- Dernier message
-
- 0 Réponses
- 512 Vues
-
Dernier message par elhassen
Qui est en ligne
Utilisateurs parcourant ce forum : SemrushBot et 3 invités