"Il faut cesser de boycotter le Hamas" Mgr Michel
Posté : 17 mai06, 04:26
Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem
"Il faut cesser de boycotter le Hamas"
LE MONDE | 17.05.06 | 13h33 • Mis à jour le 17.05.06 | 13h33
Cinq mois après la victoire du Hamas, les chrétiens de Terre sainte ne craignent-ils pas une islamisation accrue de la société palestinienne ?
Non, ils demandent le respect de la liberté religieuse, mais n'ont, pour le moment, aucune crainte particulière. Le Hamas est affronté à une situation intérieure grave, à Israël, à une communauté internationale méfiante et n'a aucun intérêt à ouvrir un front religieux avec les chrétiens. Il y a deux semaines, dans une école de Gaza, j'ai reçu le premier ministre, Ismaël Haniyeh, qui nous a donné toute assurance quant à l'avenir des établissements chrétiens. Tous les citoyens palestiniens, chrétiens et musulmans, sont à égalité de droits et de devoirs.
Mais la montée de l'extrémisme ne menace-t-elle pas des minorités chrétiennes obligées de s'expatrier ?
Le conflit entre musulmans et chrétiens au Proche-Orient, c'est au Proche-Orient qu'il appartient de le régler. Les craintes, les tensions, les erreurs existent, mais c'est à nous de les gérer. Pendant treize siècles, avec des moments faciles et d'autres plus difficiles, on a su cohabiter. Les difficultés actuelles ne seront pas résolues par des accusations, par des peurs, mais par la discussion. La Palestine est notre terre. Nous ne sommes pas des étrangers, des missionnaires. Nous sommes partie prenante de la société palestinienne.
Alors, nous avons le choix : partir ou rester. Rester, c'est-à-dire accepter la potentialité de crises et de difficultés qui existe dans la région ; collaborer avec des musulmans qui sont plus nombreux à vouloir travailler avec nous qu'à nous voir partir.
Depuis le 11-Septembre, le radicalisme islamique a tout changé...
Tout a changé pour l'Occident, pas pour nous. Nous n'ignorons pas la menace immense qui pèse sur l'humanité. Mais cette menace ne se limite pas à l'islam radical. Elle a d'autres racines dans des pouvoirs qui oppriment, dans un système mondial où ne compte que l'intérêt national, la sécurité nationale qui s'exerce au détriment de la personne, de la dignité humaine. Mais la sécurité justifie-t-elle que des peuples entiers soient sacrifiés ? Elle est là la racine d'un terrorisme qui fait autant de mal aux musulmans qu'aux chrétiens.
Avant la deuxième intifada et avant la montée du Hamas, 80 % des Palestiniens étaient pour la non-violence. Et la question qui me hante encore est de savoir pourquoi Israël a refusé de discuter avec ces 80 % de non-violents, n'a retenu que les 20 % de violents, mis en avant la violence du Hamas. Et pourquoi Israël continue de construire un "mur" qui ne provoque que des colères, elles-mêmes sources de violences. Pourquoi ? Parce que l'unique critère d'action est la force militaire.
Une nouvelle orientation politique s'est tout de même imposée en Israël...
Ariel Sharon a cru qu'il pourrait écraser les Palestiniens. En cinq ans, il a tué beaucoup de Palestiniens, démoli des milliers de maisons, détruit l'agriculture, des propriétés. Puis il s'est rendu compte qu'il n'avait pas avancé d'un pouce, que le peuple palestinien existait toujours, voulait défendre sa liberté, au besoin par l'action violente. Alors, il y a eu chez Sharon une demi-conversion : la guerre ne sert à rien. Elle est inutile, ne met pas fin au conflit. Il a engagé un retrait unilatéral à Gaza, n'a pas eu le temps de le poursuivre dans les autres territoires, a fondé un parti incarnant cette nouvelle vision. Ehoud Olmert a hérité de tout cela, mais aura-t-il la force d'aller au bout de ce processus ?
Israël a fait un grand pas, mais il lui en reste un autre à faire : prendre conscience que la paix se fera à deux, comme la guerre s'est faite à deux. On est à mi-chemin. Il faut parler avec l'adversaire. Avec la victoire du Hamas, son enracinement et sa force de conviction dans le peuple, avec cette nouvelle vision israélienne, il y a une chance de paix. L'Occident doit prendre au sérieux cette chance de paix, cesser de boycotter le Hamas, de l'assimiler au terrorisme, encourager les négociateurs des deux camps. Le Hamas, ce n'est pas le terrorisme mondial. C'est au contraire, s'il reste isolé, boycotté, qu'il finira par le rejoindre.
J'ai lu que Ben Laden cherchait à implanter des cellules d'Al-Qaida dans les territoires palestiniens. Ce terrorisme-là ne nous concerne pas. C'est un élément extérieur. Il n'y a pas d'alliance entre le Hamas et Ben Laden. C'est quand le Hamas se convertira à Ben Laden que toute chance sera perdue.
Un voyage du pape - invité par les autorités israéliennes, palestiniennes et les Eglises - est-il souhaitable ?
Il n'y a aucune date et une telle visite en ce moment ne serait pas opportune. Ou elle devrait être précédée par de sérieux changements politiques. Je ne vois pas le pape franchir le "mur" et le repasser dans l'autre sens ! Je ne le vois pas venir bénir l'actuelle situation de séparation, les atteintes aux libertés et aux droits du peuple palestinien. Le Vatican exigera quelque chose au préalable.
On vous reproche, en Israël, un manque de compassion pour les victimes juives du terrorisme. Vous n'êtes jamais présent à leurs obsèques...
C'est faux. Quand nous sommes invités, nous y allons. Mais les victimes en Israël et en Palestine sont égales dans leur sort de victimes. On ne peut pas condamner les victimes palestiniennes sans condamner aussi les victimes israéliennes et on ne peut pas condamner les victimes israéliennes sans condamner aussi les victimes palestiniennes. Il ne s'agit pas de terrorisme, mais de deux peuples qui sont en guerre. On ne peut pas non plus invoquer le droit à la légitime défense pour une seule partie. Dans cette guerre, les deux parties ont eu recours à des moyens violents. Les deux parties ont tué des innocents. Les deux parties doivent être condamnées. Les deux parties doivent être consolées et j'apprécie que des associations de parents des victimes, des deux côtés, se rencontrent et se pardonnent.
Propos recueillis par Henri Tincq
"Il faut cesser de boycotter le Hamas"
LE MONDE | 17.05.06 | 13h33 • Mis à jour le 17.05.06 | 13h33
Cinq mois après la victoire du Hamas, les chrétiens de Terre sainte ne craignent-ils pas une islamisation accrue de la société palestinienne ?
Non, ils demandent le respect de la liberté religieuse, mais n'ont, pour le moment, aucune crainte particulière. Le Hamas est affronté à une situation intérieure grave, à Israël, à une communauté internationale méfiante et n'a aucun intérêt à ouvrir un front religieux avec les chrétiens. Il y a deux semaines, dans une école de Gaza, j'ai reçu le premier ministre, Ismaël Haniyeh, qui nous a donné toute assurance quant à l'avenir des établissements chrétiens. Tous les citoyens palestiniens, chrétiens et musulmans, sont à égalité de droits et de devoirs.
Mais la montée de l'extrémisme ne menace-t-elle pas des minorités chrétiennes obligées de s'expatrier ?
Le conflit entre musulmans et chrétiens au Proche-Orient, c'est au Proche-Orient qu'il appartient de le régler. Les craintes, les tensions, les erreurs existent, mais c'est à nous de les gérer. Pendant treize siècles, avec des moments faciles et d'autres plus difficiles, on a su cohabiter. Les difficultés actuelles ne seront pas résolues par des accusations, par des peurs, mais par la discussion. La Palestine est notre terre. Nous ne sommes pas des étrangers, des missionnaires. Nous sommes partie prenante de la société palestinienne.
Alors, nous avons le choix : partir ou rester. Rester, c'est-à-dire accepter la potentialité de crises et de difficultés qui existe dans la région ; collaborer avec des musulmans qui sont plus nombreux à vouloir travailler avec nous qu'à nous voir partir.
Depuis le 11-Septembre, le radicalisme islamique a tout changé...
Tout a changé pour l'Occident, pas pour nous. Nous n'ignorons pas la menace immense qui pèse sur l'humanité. Mais cette menace ne se limite pas à l'islam radical. Elle a d'autres racines dans des pouvoirs qui oppriment, dans un système mondial où ne compte que l'intérêt national, la sécurité nationale qui s'exerce au détriment de la personne, de la dignité humaine. Mais la sécurité justifie-t-elle que des peuples entiers soient sacrifiés ? Elle est là la racine d'un terrorisme qui fait autant de mal aux musulmans qu'aux chrétiens.
Avant la deuxième intifada et avant la montée du Hamas, 80 % des Palestiniens étaient pour la non-violence. Et la question qui me hante encore est de savoir pourquoi Israël a refusé de discuter avec ces 80 % de non-violents, n'a retenu que les 20 % de violents, mis en avant la violence du Hamas. Et pourquoi Israël continue de construire un "mur" qui ne provoque que des colères, elles-mêmes sources de violences. Pourquoi ? Parce que l'unique critère d'action est la force militaire.
Une nouvelle orientation politique s'est tout de même imposée en Israël...
Ariel Sharon a cru qu'il pourrait écraser les Palestiniens. En cinq ans, il a tué beaucoup de Palestiniens, démoli des milliers de maisons, détruit l'agriculture, des propriétés. Puis il s'est rendu compte qu'il n'avait pas avancé d'un pouce, que le peuple palestinien existait toujours, voulait défendre sa liberté, au besoin par l'action violente. Alors, il y a eu chez Sharon une demi-conversion : la guerre ne sert à rien. Elle est inutile, ne met pas fin au conflit. Il a engagé un retrait unilatéral à Gaza, n'a pas eu le temps de le poursuivre dans les autres territoires, a fondé un parti incarnant cette nouvelle vision. Ehoud Olmert a hérité de tout cela, mais aura-t-il la force d'aller au bout de ce processus ?
Israël a fait un grand pas, mais il lui en reste un autre à faire : prendre conscience que la paix se fera à deux, comme la guerre s'est faite à deux. On est à mi-chemin. Il faut parler avec l'adversaire. Avec la victoire du Hamas, son enracinement et sa force de conviction dans le peuple, avec cette nouvelle vision israélienne, il y a une chance de paix. L'Occident doit prendre au sérieux cette chance de paix, cesser de boycotter le Hamas, de l'assimiler au terrorisme, encourager les négociateurs des deux camps. Le Hamas, ce n'est pas le terrorisme mondial. C'est au contraire, s'il reste isolé, boycotté, qu'il finira par le rejoindre.
J'ai lu que Ben Laden cherchait à implanter des cellules d'Al-Qaida dans les territoires palestiniens. Ce terrorisme-là ne nous concerne pas. C'est un élément extérieur. Il n'y a pas d'alliance entre le Hamas et Ben Laden. C'est quand le Hamas se convertira à Ben Laden que toute chance sera perdue.
Un voyage du pape - invité par les autorités israéliennes, palestiniennes et les Eglises - est-il souhaitable ?
Il n'y a aucune date et une telle visite en ce moment ne serait pas opportune. Ou elle devrait être précédée par de sérieux changements politiques. Je ne vois pas le pape franchir le "mur" et le repasser dans l'autre sens ! Je ne le vois pas venir bénir l'actuelle situation de séparation, les atteintes aux libertés et aux droits du peuple palestinien. Le Vatican exigera quelque chose au préalable.
On vous reproche, en Israël, un manque de compassion pour les victimes juives du terrorisme. Vous n'êtes jamais présent à leurs obsèques...
C'est faux. Quand nous sommes invités, nous y allons. Mais les victimes en Israël et en Palestine sont égales dans leur sort de victimes. On ne peut pas condamner les victimes palestiniennes sans condamner aussi les victimes israéliennes et on ne peut pas condamner les victimes israéliennes sans condamner aussi les victimes palestiniennes. Il ne s'agit pas de terrorisme, mais de deux peuples qui sont en guerre. On ne peut pas non plus invoquer le droit à la légitime défense pour une seule partie. Dans cette guerre, les deux parties ont eu recours à des moyens violents. Les deux parties ont tué des innocents. Les deux parties doivent être condamnées. Les deux parties doivent être consolées et j'apprécie que des associations de parents des victimes, des deux côtés, se rencontrent et se pardonnent.
Propos recueillis par Henri Tincq