Volte-face bienvenue
Pourtant fervent multiculturaliste canadien, Philippe Couillard a compris qu’il devait rejeter le projet immobilier basé sur les « préceptes de l’islam » près de Brossard. Sa réaction a eu l’heureux effet de forcer son ministre Gaétan Barrette à faire volte-face, lui qui, lundi, appuyait le principe. M. Barrette peut bien vouloir se mettre au service de ses commettants sans tomber dans le communautarisme ghettoïsant.
Malgré les explications et dénégations de son promoteur, le projet résidentiel musulman près de Brossard est inacceptable. Le comptable Nabil Warda, qui l’a conçu et le promeut, a accordé plusieurs interviews lundi pour expliquer que son but n’était pas de créer un ghetto en Montérégie. Il a précisé que certains non-musulmans pourraient très bien habiter dans ce lotissement de quelque 100 hectares qui pourrait loger quelque 100 familles, dont 20 non musulmanes. Ces dernières n’auraient qu’à se proclamer… d’accord avec les préceptes de l’islam.
Contrairement à la position défendue lundi par le député de La Pinière (où se trouve Brossard) et ministre de la Santé, Gaétan Barrette, le projet de M. Warda n’a que peu à voir avec le phénomène de « concentration territoriale » ethnique, inévitable dans toute métropole, tels les quartiers chinois et italien (M. Barrette a en effet mentionné Saint-Léonard !). Toutes les communautés culturelles ont tendance à se regrouper. Ces quartiers qu’ils forment accueillent la diversité — dont celle interne aux communautés — et ne sont toutefois jamais totalement fermés aux autres. Lancer un projet immobilier qui filtrerait les acheteurs selon un principe religieux serait tout simplement contraire aux principes de non-discrimination inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne. L’article 12 s’appliquerait : « Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public. » C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé Philippe Couillard mardi, contredisant son ministre : « La discrimination, cela va dans tous les sens. L’inclusion va dans tous les sens. On favorise la mixité de l’habitation autant pour les communautés culturelles que les religions. »
Ce principe devrait d’ailleurs valoir pour tous les groupes religieux sans exception : musulmans, mais aussi chrétiens et juifs. Bien sûr, dans le passé, certaines exceptions ont été acceptées : il y a bel et bien des enclaves formées par des sectes refusant la modernité et vivant en marge de la société. C’est le cas de communautés hassidiques au Québec, mais aussi des huttérites dans l’Ouest canadien, ou encore des amish en Pennsylvanie. M. Barrette, par zèle multiculturaliste, souhaiterait-il vraiment voir se multiplier les « colonies » de ce genre ? À l’écouter lundi, on en avait l’impression. Mardi, heureusement, il soutint qu’un projet immobilier discriminatoire était inacceptable. Non sans avoir au passage — de manière non fondée — assimilé les critiques exprimées par les oppositions (et non celles de son chef, bien sûr) à une « chasse aux musulmans ».
Sur papier, le projet de M. Warda ne s’annonce bien sûr pas aussi fermé que les cas extrêmes cités plus haut. Mais il comporte des germes de repli, comme cette notion de finance islamique prétendument libre d’intérêts hypothécaires à payer par l’emprunteur et apparemment allergique à la notion de spéculation. Cela rappelle les craintes d’essayistes qui, dans les années 1990, avaient développé des critiques de la politique canadienne de multiculturalisme. Dont celles de l’écrivain Neil Bissoondath qui, en 1994, soutenait qu’à la longue, le multiculturalisme conduisait à une « indéniable ghettoïsation ».
Le Devoir