Voici un sujet que je pensais aborder d'ici quelques mois, mais à la demande d'un ami, je fais une petite entorse à mon planning.
Vous allez trouver ci-dessous un exemple-type de la manière dont les dirigeants de la Watchtower usent de malhonnêteté lorsqu'il s'agit de discréditer les preuves archéologiques qui attestent de la destruction de la Jérusalem antique en 587 avant notre ère.
Avant de poursuivre la lecture de ce message, je vais vous demander un petit effort d'imagination. Je vous demande, pendant quelques instants, d'imaginer que vous êtes un Témoin de Jéhovah exemplaire, c'est à dire un adepte de la Watchtower qui croit aveuglément tout ce qui est marqué dans les revues officielles de son Collège Central. (allez, un petit effort, je parie que vous en êtes capable )
La scène se passe en 1970. Vous venez de recevoir votre exemplaire de la Tour de Garde du 1er novembre, et voici ce que vous y lisez (les parties en italiques sont d'origine) :
C'est bon, vous avez lu cet article en vous mettant dans la peau d'un bon petit Témoin de Jéhovah modèle qui est convaincu que ce qu'il lit dans sa revue préférée est de la bonne "nourriture spirituelle" qui provient de Jéhovah Lui-même ? Vous pouvez facilement imaginer la réaction d'un lecteur aussi influençable. Il se dira : "Ah, vraiment, ces archéologues, ils nous mènent en bateau et veulent nous présenter comme parole d'évangile ce qui n'est que le fruit de leur imagination..."[i]Tour de Garde[/i], 01/11/1970, pages 5 et 6 a écrit :Une tablette, que l’on croit avoir été écrite à la mémoire de la mère ou de la grand-mère de Nabonide, contient certaines données chronologiques concernant cette période. Toutefois, de nombreuses parties du texte ont été détériorées, ce qui laisse le champ libre à l’ingéniosité et aux hypothèses des historiens. Pour que le lecteur se rende compte du mauvais état de ce texte fragmentaire, il lui suffit de lire la traduction suivante d’un des morceaux de ce document commémoratif en omettant les mots écrits entre crochets, lesquels représentent un essai de reconstitution des parties manquantes, abîmées ou illisibles :
“[Durant la période commençant avec Assurbanipal], roi d’Assyrie, [sous le règne] duquel je suis née, (à savoir) : [21 ans] sous Assurbanipal, [4 ans sous Assur]-etil-ilâni, son fils, [21 ans sous Nabopola]ssar, 43 ans sous Nébucadnetsar, [2 ans sous Évil-Mérodac], 4 ans sous Nériglissor, [en tout 95 an]s, [le dieu était absent] jusqu’au moment où Sin, roi des dieux, [se souvînt du temple] (...) de son [grand] dieu, son visage attristé [rayonna], [et il écouta] mes prières, [oublia] l’ordre [qu’il avait donné] dans sa colère, [et décida de retourner a]u temple é-hul-hul, le temple, [la maison,] délices de son cœur. [À propos de son retour imminent au temp]le, Sin, roi des [dieux, (me) dit] : ‘Nabonide, roi de Babylone, fils [de mes entrailles] [me] fer[a] en[trer et asseoir (de nouveau)] dans le temple é-hul-hul !’ J’obéis soigneu[sement] aux ordres que [Sin], roi des dieux, avait prononcés (et) vis par moi-même (comment) Nabonide, roi de Babylone, fruit de mes entrailles, réorganisa complètement les rites oubliés de Sin, (...).”
Plus loin, le texte indique que la mère (ou la grand-mère) de Nabonide attribuait à Sin la longue durée de sa vie “à partir de l’époque d’Assurbanipal, roi d’Assyrie, jusqu’à la 6e année de Nabonide, roi de Babylone, fils de mes entrailles, (c’est-à-dire) 104 années heureuses, (...)”. — Ancient Near Eastern Texts de Pritchard, pages 311, 312.
Les seuls véritables chiffres donnés par cette inscription très incomplète sont les 43 années du règne de Nébucadnetsar et les 4 années de celui de Nériglissor. Pour ce qui est de ce dernier, le texte ne limite pas nécessairement la durée de son règne à quatre ans ; il indique plutôt qu’un événement s’est produit au cours de la quatrième année de celui-ci. Il ne dit pas à quel moment du règne d’Assurbanipal est née la mère (ou la grand-mère) de Nabonide, de sorte que nous ignorons quand les “104 années heureuses” ont commencé et ont pris fin. Par ailleurs, le texte ne donne aucune information sur la durée des règnes d’Assur-etil-ilâni, de Nabopolassar et d’Évil-Mérodac. Il ne parle pas de Labashi-Mardouk, dont la plupart des historiens situent le règne entre ceux de Nériglissor et de Nabonide.
Alors maintenant vous pouvez redevenir vous-mêmes, retrouver votre esprit critique, ouvrir les yeux et voir ce qu'il en est réellement.
Tout d'abord ce que l'auteur de l'article présente comme une "tablette" est en réalité une stèle mortuaire, signe que dès le départ on comprend très bien qu'il ne l'a jamais eu sous les yeux, pas même en photo, et qu'il ne sait pas du tout de quoi il parle. En gros, la différence entre une tablette et une stèle, c'est la même qu'entre votre téléphone portable et votre téléviseur grand écran plasma. Pour info, une tablette cunéiforme est un document léger en argile qui est conçu pour être "manipulé", c'est à dire qu'on peut le tenir facilement dans une main. ( à ne pas confondre avec le shmilblick qui tient dans la main - tient dans la main ). En revanche, une stèle comme celle dont il est question ici est gravée dans la pierre et peut peser des centaines de kilos.
Ce qu'il faut savoir également, c'est que cette stèle mortuaire a été découverte en 1906 par l'archéologue Henri Pognon. Elle a été excavée dans la ville de Harrân au sud de l'actuelle Turquie. Cette stèle est effectivement en piteux état, et les inscriptions qu'elle révèle correspondent à ce que cette Tour de Garde décrit. Rappelez-vous que pour qu'un mensonge soit efficace, il faut qu'il soit au maximum teinté de vérité.
Alors où est l'arnaque ? allez-vous me dire... (eh oui, n'oubliez pas que je lis dans vos pensées )
L'arnaque, c'est que 14 ans avant la parution de cet article de Tour de Garde, soit en 1956, une magnifique réplique de cette stèle a été découverte dans les ruines de l'entrée nord de la Grande Mosquée de Harrân, par le Docteur D.S. Rice. Cette fois-ci, les inscriptions étaient dans un état remarquable de conservation, et la quasi-totalité des informations qui manquaient sur la stèle de 1906 étaient parfaitement lisibles. La voici :
Ce que les dirigeants de la Watchtower se sont bien gardé de dire dans leur article de propagande anti-archéologie, c'est que les parties complétées entre crochets sur la transcription de la première stèle de 1906 l'ont été principalement grâce à la seconde de 1956 et non, comme ils le prétendent, "grâce à l’ingéniosité et aux hypothèses des historiens".
Alors si vous êtes un vrai bon petit Témoin de Jéhovah et que vous lisez ce message, vous vous dites probablement : "Ok, mais peut-être que ceux qui ont rédigé et validé cet article n'étaient pas au courant qu'une réplique de cette stèle avait été découverte depuis 14 ans."
Alors pour répondre à cette objection, rappelons quand même que les Témoins de Jéhovah se vantent constamment de produire dans leurs revues des informations de qualité, vérifiées et à jour. Ils se vantent d'être constamment à l'affût des nouvelles découvertes de manière à fournir la "nourriture en temps voulu".
Dès lors, comment auraient-ils pu ignorer une découverte aussi importante, en particulier lorsqu'ils se sont livrés aux recherches permettant d'alimenter leur article ?
En fait la question ne se pose même pas. En effet, Un rapport préliminaire des découvertes du Docteur Rice a été publié dans le journal The Illustrated London News du 21 septembre 1957 et l'année suivante, le Docteur Couteau J. Gadd, spécialiste d'histoire et de littérature babyloniennes, publia une traduction de ces inscriptions dans Anatolian Studies.
Il faut savoir que cet ouvrage en dix volumes, "Anatolian Studies", plus d'un demi siècle après son édition, reste une référence en matière d'épigraphie assyro-babylonienne, au point qu'en 2011 la Société Watchtower s'y réfère encore dans son article concernant la chute de Jérusalem : "Anatolian Studies, vol. VIII, 1958, pages 35, 47."
On voit donc mal comment les rédacteurs de l'article de 1970 auraient pu ignorer l'existence de la réplique de la stèle de Harân découverte 14 ans plus tôt par le Docteur Rice.
Voilà. Et je le répète, ceci qu'un exemple de la malhonnêteté dont sont capables les dirigeants de la Société Watchtower lorsqu'il s'agit de défendre leur chronologie factice dont dépend leur légitimité.